TUNNEL SOUS LA MANCHE

TUNNEL SOUS LA MANCHE
TUNNEL SOUS LA MANCHE

Tunnel sous la Manche

Le 6 mai 1994, huit ans après la décision historique du 20 janvier 1986, la reine d’Angleterre, Élisabeth II, et le président de la République française, François Mitterrand, ont inauguré le tunnel sous la Manche. Grâce à cette liaison ferroviaire, la Grande-Bretagne est désormais rattachée à l’Europe continentale et perd ainsi son caractère insulaire. Pour réaliser ce chantier, souvent appelé “chantier du siècle”, des dizaines d’entreprises et des milliers de personnes se sont investis depuis 1987, accomplissant ainsi un rêve vieux de près de deux siècles. Ce lien transmanche, qui est en fait constitué de trois tunnels parallèles de 50 kilomètres de longueur, assure à la fois le passage des trains des compagnies de chemin de fer et la traversée des véhicules routiers qui sont embarqués à bord de navettes. Il est entré progressivement en service: les navettes véhiculant les poids lourds ainsi que les trains de marchandises assurent la liaison depuis le mois de mai 1994; les T.G.V. prenant en charge les personnes sans véhicule ainsi que les navettes transportant les automobiles ont commencé de circuler le 14 novembre 1994; le rythme “commercial” des passages étant mis définitivement en place au cours de l’année 1995.

Le tunnel: un projet de près de deux siècles

Le bras de mer qui sépare actuellement la Grande-Bretagne du continent n’a pas toujours existé. En effet, ce n’est qu’après la dernière glaciation du Quaternaire, c’est-à-dire il y a environ dix mille ans, que la Grande-Bretagne a été détachée définitivement du continent européen pour devenir une île; ce bras de mer, ou Manche, a ainsi constitué une protection inestimable contre les différentes tentatives d’invasions au cours des siècles.

L’idée de traverser la Manche par voie terrestre avait été émise dès le milieu du XVIIIe siècle. C’est en effet sous le règne de Louis XV et de George II que le géologue et physicien Nicolas Desmarets remporta en 1751 le concours lancé par l’académie d’Amiens pour améliorer les relations par le pas de Calais en proposant un tunnel qui serait utilisé par des carrosses. L’idée fut reprise en 1802, lorsque Napoléon Ier n’était pas en guerre contre l’Angleterre, par Albert Mathieu-Favier, ingénieur français des Mines, qui suggéra le percement d’un tunnel composé de deux galeries superposées avec l’ambition d’établir une paix définitive entre les deux pays: la galerie supérieure, destinée à la circulation, devait être pavée et aérée par des cheminées immergées; l’autre aurait recueilli les eaux d’infiltration. Mais la reprise des combats mit un terme à ce projet. Malgré les querelles politiques entre ces deux pays, les projets proposés par les ingénieurs se multipliaient et bien des types de liaison entre la France et l’Angleterre furent imaginés: tunnel foré dans la craie ou posé sur le fond de la mer, ou encore immergé entre deux eaux, ponts ou viaducs, digues et jetées, etc., le matériau prévu étant tantôt le béton, tantôt la brique, tantôt la fonte ou tantôt l’acier.

C’est en réalité en 1867 que la première tentative vraiment sérieuse s’amorça. L’ingénieur anglais William Low, en accord avec l’ingénieur français Aimé Thomé de Gamond qui consacra sa vie à étudier un lien fixe entre ces deux pays, proposa alors un projet de tunnel entre Saint Margaret’s, au nord de Douvres, et les abords du cap Gris-Nez.

Après avoir reçu un accueil favorable de Napoléon III et de la reine Victoria, ce projet se concrétisa: créations de la société britannique Channel Tunnel Company en 1872 et de l’Association du chemin de fer sous-marin entre la France et l’Angleterre en 1875, côté français, à laquelle le Parlement français accorda une concession de quatre-vingt-dix-neuf ans en 1876; au cours de cette même année, un projet de traité fut conclu entre les deux pays. Dès 1878, des travaux étaient entrepris à Sangatte (à l’ouest de Calais), côté français, et sous la falaise de Shakespeare (près de Douvres), côté anglais. En fait, dès cette époque, l’ouvrage était en principe techniquement réalisable, même si la non-existence de la traction électrique imposait l’utilisation de la vapeur et donc la nécessité de cheminées d’évacuation des fumées par l’intermédiaire d’îles artificielles. Mais, en 1882, côté britannique, et en mars 1883, côté français, les travaux furent suspendus: moins de 2 kilomètres de part et d’autre de la Manche avait été forés. Les raisons avancées pour l’abandon de ces travaux étaient stratégiques, car si l’armée de terre britannique n’était pas franchement défavorable à ce projet, la Royal Navy y était farouchement opposée, pensant que cette liaison risquerait d’exposer le pays aux invasions. Il semble bien que des raisons économiques furent aussi à l’origine de cette décision: rentabilité insuffisante du projet, crainte des milieux d’affaires britanniques de subir trop fortement la concurrence économique continentale et perte de la suprématie de la flotte de commerce britannique.

L’arrêt des travaux, dont il reste des vestiges, le “puits des anciens” au bord de la route du cap Gris-Nez, fut effectivement décisif. Tous les projets proposés durant la première moitié du XXe siècle se heurtaient à l’opposition des militaires britanniques. Il fallut attendre que Winston Churchill levât le veto militaire britannique en 1955 pour que de nouvelles initiatives “professionnelles” se mettent en place: le Groupement d’études du tunnel sous la Manche (G.E.T.M.) fut constitué en juillet 1957 et étudia différents projets de ponts ou de tunnels forés ou immergés, routiers ou ferroviaires. En 1964, sur proposition d’une commission gouvernementale franco-britannique, les gouvernements demandèrent au G.E.T.M. de procéder à des études géologiques dans le but d’éclairer la fiabilité des différents projets. En 1973, des travaux étaient engagés et le projet retenu était celui d’un tunnel foré qui serait parcouru à la fois par les trains classiques et par des navettes transportant les voitures et les camions. Mais, deux ans plus tard, après avoir creusé seulement 300 mètres de galeries en France et 400 mètres de l’autre côté de la Manche, la Grande-Bretagne renonçait de nouveau au tunnel, non plus pour des raisons essentiellement stratégiques, mais économiques. En effet, la situation de ce pays, très difficile en plein choc pétrolier, ainsi qu’un changement de direction politique (le Parti travailliste ayant succédé aux conservateurs lors des élections d’octobre 1974) ne favorisaient pas ce projet. Malgré l’obstacle militaire levé, les Britanniques n’étaient visiblement pas encore prêts à franchir le pas, aussi bien au niveau national qu’au niveau local, le Kent refusant par ailleurs l’arrivée de trafics routiers supplémentaires.

Malgré ses réticences, la Grande-Bretagne se rapprochait de la Communauté économique européenne: un besoin vital d’ouverture sur le marché extérieur se faisait sentir et le trafic transmanche par ferries et par avion se mit à croître à un rythme accéléré. Ainsi, entre 1973 et 1983, le nombre de voyageurs traversant la Manche passa de 25,2 millions à 45,4 millions, et les marchandises de 36 millions de tonnes à 53,4 millions. De plus, l’évolution des techniques, avec le développement de grands tunneliers, rendait la réalisation du projet plus aisée.

La naissance d’Eurotunnel

C’est en 1981, dans ce contexte, que les deux gouvernements confiaient à nouveau à un groupe d’experts la reprise des études techniques et économiques sur le sujet. Le compte rendu, déposé en juin 1982, justifiait économiquement et techniquement la construction d’un ouvrage. Un rapport fut demandé à un groupe de banques pour examiner la fiabilité financière du projet. Les conclusions, remises en mai 1984, furent très positives, voire optimistes, puisqu’elles aboutissaient à la rentabilité du système, même avec un certain dépassement des délais et des coûts de construction. Cela leva les dernières objections britanniques, car Margaret Thatcher, alors Premier ministre, était opposée à toute participation financière des États. Le 30 novembre 1984, lors du sommet de Rambouillet, un communiqué officiel fit état de l’accord des deux gouvernements pour concéder un lien fixe Angleterre-France à un promoteur qui s’engagerait à concevoir, financer, réaliser et exploiter l’ouvrage sans aucune garantie financière des États sous quelque forme que ce fût. Un cahier des charges, ayant pour objectif la consultation de groupements de promoteurs pour la dévolution d’une future concession, fut défini et rendu public le 2 avril 1985. Un appel d’offres international fut lancé le 31 octobre 1985. À cette date, quatre promoteurs déposèrent des propositions recevables au regard des directives, assorties des cautionnements requis.

Ces offres furent examinées et analysées et, le 31 décembre 1985, un rapport fut remis aux deux gouvernements. Le 20 janvier 1986, Margaret Thatcher et François Mitterrand, réunis à Lille, annoncent que c’est le tunnel foré France-Manche/Channel Tunnel Group qui était choisi. Ce projet s’apparente en fait, techniquement, à celui de 1974. Sur le plan financier, il présente l’avantage d’être la solution techniquement convaincante la moins coûteuse. Très rapidement, le 12 février 1986, un traité entre les deux pays, fixant les engagements réciproques des États et leurs liens avec les concessionnaires, est signé dans la cathédrale de Canterbury et, le 14 mars 1986, les gouvernements et les concessionnaires signent l’acte de concession.

Du 22 avril au 23 juillet 1987, les textes du traité et de la concession sont ratifiés par les Parlements des deux pays. Le 29 juillet 1987, les instruments de ratification du traité sont échangés et la commission intergouvernementale, chargée de suivre au nom des gouvernements l’ensemble des questions liées à la construction et à l’exploitation de la liaison, est officiellement mise en place.

Mais, dès l’été de 1986, les études et les travaux avaient été engagés avec l’accord des gouvernements et sans attendre la fin des démarches légales; les opérations de forage ont débuté en décembre 1987 du côté anglais et en février 1988 du côté français.

L’organisation de l’ouvrage

Le traité

Signé le 12 février 1986 à Canterbury et entré en vigueur le 29 juillet 1987, le traité définit les engagements réciproques des deux États, pour la réalisation de la liaison fixe. Il contient les dispositions à prendre par les gouvernements pour permettre la construction et l’exploitation de l’ouvrage. Ce traité, à caractère général, définit aussi les principes directeurs de la concession.

La concession

Conclue le 14 mars 1986 à Paris et à Londres, la concession quadripartite entre la France et le Royaume-Uni d’une part, les sociétés France-Manche S.A. et Channel Tunnel Group Ltd (qui se sont regroupées pour former Eurotunnel) d’autre part, fixe de façon détaillée les caractéristiques de l’ouvrage et précise les engagements respectifs des États et des concessionnaires selon les principes inscrits dans le traité. Les États n’accordent aucune garantie financière aux concessionnaires. Ces derniers s’engagent donc à construire et à exploiter la liaison fixe dans les délais qui leur sont impartis, à la maintenir en bon état, assurant la continuité et la fluidité du trafic, jusqu’à la fin de la concession dont la durée est fixée à cinquante-cinq ans. Cette durée est portée à soixante-cinq ans en 1994 en raison de l’augmentation des coûts et des délais de l’ouvrage. Les concessionnaires sont seuls responsables des dommages causés aux usagers et aux tiers du fait de l’ouvrage; ils doivent donc garantir la sécurité des personnes et des biens et souscrire les assurances adéquates. En contrepartie de ces obligations, les concessionnaires fixent librement leurs tarifs, déterminent leur politique commerciale et la nature des services offerts. La concession règle les modes d’indemnisation des divers partenaires en cas de défaillance dans l’exécution des obligations. En accord avec le traité, elle définit les relations des concessionnaires avec la commission intergouvernementale, le comité de sécurité et prévoit de porter les différends entre les concédants et les concessionnaires devant un tribunal arbitral.

Des accords relatifs à la défense, à la sûreté, aux contrôles frontaliers et au tribunal d’arbitrage ont été notamment négociés. Un plan de secours binational est élaboré pour coordonner l’action des services de secours des deux États en cas de besoin.

La commission intergouvernementale

Le rôle de la commission intergouvernementale est de suivre, au nom des deux gouvernements et par délégation de ceux-ci, l’ensemble des questions liées à la construction et à l’exploitation de l’ouvrage. Elle est composée de deux délégations nationales de sept membres chacune. La présidence de la commission est assurée alternativement par chaque chef de délégation pour une durée de douze mois. La commission se réunit chaque mois alternativement à Paris et à Londres, et les décisions sont prises d’un commun accord par les chefs des délégations française et britannique. Elle est assistée par un comité de sécurité qui veille à la conformité des règlements et des dispositifs de sécurité applicables à la liaison fixe avec les règles nationales ou internationales en vigueur.

Les intervenants

Quatre partenaires privés sont intervenus pour concrétiser le projet:

— Le concessionnaire est représenté par Eurotunnel, société en participation constituée des entreprises française France-Manche S.A. et britannique Channel Tunnel Group Ltd. Elles sont toutes deux, avec les pouvoirs publics français et britannique, titulaires de la concession du tunnel. Ces deux entités sont respectivement les filiales des sociétés mères française Eurotunnel S.A. et britannique Eurotunnel P.L.C.

— Le constructeur de l’ouvrage est la Transmanche Link (T.M.L.), qui regroupe les dix constructeurs actionnaires d’origine d’Eurotunnel: Balfour Beatty, Costain, Tarmac, Taylor Woodrow et Wimpey composant le groupement britannique Translink, et Bouygues, Dumez, S.A.E. (Société auxiliaire d’entreprises), S.G.E. (Société générale d’entreprises) et Spie Batignolles formant le groupement français Transmanche Construction. Le 13 août 1986, Eurotunnel signe le contrat de construction avec T.M.L. Outre ces dix grandes compagnies, de nombreux sous-traitants sont intervenus pour le compte de T.M.L., principalement le groupe franco-britannique G.E.C.-Alsthom (General Electric Company-Alsthom) pour les T.G.V. transmanche (appelés aussi Eurostar, ou encore T.M.S.T., Transmanche Super Train ), la société québécoise Bombardier pour les navettes des véhicules légers, le groupe italien Breda-Fiat pour les navettes de poids lourds et la société britannique Brush pour les locomotives.

— Le syndicat bancaire est un consortium international de plus de deux cents banques. Il est représenté par un directoire de vingt-deux banques, dont quatre banques fondatrices (Banque nationale de Paris, Crédit lyonnais, Westminster Bank et Midland Bank) qui jouent un rôle de leader (les “banques agents”). Ce consortium a d’abord réuni les prêts nécessaires au financement initial de l’ouvrage, puis les sommes supplémentaires liées à l’augmentation des coûts.

Par la suite, la Banque européenne d’investissement (B.E.I.) est également intervenue en tant que prêteur, ainsi que la Communauté européenne du charbon et de l’acier (C.E.C.A.) pour une part plus limitée.

— Le maître d’œuvre est représenté par les sociétés française Setec (Société d’études techniques et économiques) et britannique Atkins, deux entreprises d’ingénierie réputées. Désigné et rémunéré par Eurotunnel (comme le mentionne la concession), le maître d’œuvre est chargé d’une mission permanente d’expertise et de contrôle des travaux réalisés ou en cours de réalisation vis-à-vis de la concession et des règles de l’art. Il veille également au respect des contrats de construction, des délais et des coûts. Tout projet soumis à la commission intergouvernementale doit être accompagné de l’avis du maître d’œuvre.

Description de l’ouvrage

Les tunnels

La liaison ferroviaire transmanche est en fait constituée par trois tunnels parallèles. Leur longueur est de 50 kilomètres, dont près de 38 kilomètres sous la mer. Du fait de la faible inclinaison que l’on doit donner à une voie ferrée et de la profondeur de la mer, le point de départ des tunnels est relativement éloigné de la côte. Les tunnels ont été forés en grande partie dans la craie marneuse, ou craie bleue, roche tendre et imperméable mais plus ou moins faillée, surtout du côté français. Les terrains instables ou à très forte perméabilité ont été parés par des sondages en avant du front de creusement du tunnel de service et par des injections.

Le tunnel de service, localisé au centre de l’ouvrage, a un diamètre interne de 4,8 m. Il a été foré comme une galerie pilote permettant de mettre en évidence les difficultés géologiques susceptibles d’être rencontrées pour le creusement des tunnels principaux de plus grande dimension (7,6 m de diamètre interne chacun). Le forage a été engagé dans deux directions (vers la terre et vers la mer) à partir de deux points d’attaque situés en bord de mer: l’un en Angleterre (Shakespeare Cliff), l’autre en France (puits de Sangatte). Le creusement a été programmé sur une base de vingt-quatre heures de travail par jour et de sept jours de travail par semaine. Il a été effectué par huit tunneliers qui ont fonctionné à raison de quatre postes de six heures par jour. Le percement de la galerie de service s’est achevé le 13 décembre 1990. Les deux tunnels principaux ont été terminés le 28 juin 1991. En mars 1993, l’ensemble des équipements était mis en place, et les travaux de finition, de réception et les essais pouvaient alors s’engager.

Les déblais, essentiellement constitués de craie, représentent quelque 11 millions de mètres cubes. Ils furent déposés, côté français, au lieu-dit Fond-Pignon (à proximité du puits de Sangatte), à l’abri d’une digue de retenue. Un remodelage du paysage des Noirmonts a été effectué, et une végétation soigneusement sélectionnée a permis à la zone de stockage de reverdir. Côté anglais, les déblais ont été déposés au pied de la falaise Shakespeare, constituant une sorte de polder où une réserve naturelle est prévue.

Les deux tunnels principaux assurent le trafic entre l’Angleterre et l’Europe continentale:

— Pour les véhicules routiers, l’“autoroute ferroviaire” est constituée par des navettes, les unes destinées au transport des automobiles et des autocars avec leurs passagers, les autres acheminant les camions. Tous ces véhicules sont chargés et déchargés aux terminaux français et anglais, respectivement Coquelles et Cheriton.

— Pour le chemin de fer, les compagnies ferroviaires (S.N.C.F. et British Railways) utilisent le tunnel pour faire passer des trains de voyageurs et de marchandises suivant des créneaux définis dans la convention d’utilisation signée entre Eurotunnel et ces sociétés. La moitié de la capacité du tunnel leur est ainsi sous-concédée pour la durée de la concession. Des décisions viendront modifier quelque peu ce dispositif: d’une part, une directive européenne prévoit que les réseaux ferroviaires pourront être utilisés par d’autres “usagers ferroviaires” que les sociétés propriétaires des infrastructures, notamment par des groupements internationaux disposant de leurs propres trains; d’autre part, les British Railways sont en cours de privatisation et donc d’autres partenaires, en particulier l’E.P.S. (European Passengers Services), qui doit être chargé de la construction d’une ligne rapide entre Londres et Folkestone, interviennent dans le système suivant des modalités qui seront définies d’ici à 1996.

Le tunnel de service, qui a eu pendant la construction une fonction exploratoire, est destiné à jouer un triple rôle pendant l’exploitation. Il doit d’abord permettre l’évacuation, le refuge et l’arrivée des secours, en cas d’accident ou d’incident grave. Il est utilisé par ailleurs chaque jour par les personnels d’entretien et de maintenance pour atteindre leurs lieux d’intervention. Les véhicules se déplaçant dans la galerie de service sont de petits camions sur pneus guidés automatiquement. Ils peuvent ainsi circuler et se croiser sans risque, malgré la faible largeur du tunnel. La troisième fonction de ce tunnel est d’assurer un rôle dans la ventilation de l’ouvrage en étant constamment en surpression par rapport aux tunnels principaux. C’est ainsi un refuge sûr pour d’éventuelles personnes en détresse dans le tunnel.

Les terminaux

En France, le terminal est situé à quelques kilomètres au sud-ouest de Calais, à Coquelles. Les liaisons avec la route (A26 et R.N. 1) et le rail (notamment avec le T.G.V. Paris-Londres) sont particulièrement aisées. Une série d’ouvrages de raccordement en facilite les accès. En Angleterre, le terminal principal est situé à Cheriton, aux abords immédiats de Folkestone.

Les terminaux ressemblent à des gares classiques, à ceci près que les quais sont réservés au trafic des automobiles. Il n’est pas prévu, pour l’instant du moins, que des piétons ou des cyclistes embarquent directement à bord des navettes: ils devront utiliser des autocars Calais-Folkestone qui seront chargés sur les navettes.

Le matériel ferroviaire

Les navettes, aussi appelées shuttles , sont destinées à transporter des véhicules de tourisme, des autocars et des poids lourds. Les trains de véhicules de tourisme se composent de deux rames de douze wagons chacune, encadrées par un wagon chargeur et un wagon déchargeur permettant les manœuvres des véhicules. Les rames sont soit à double pont (120 automobiles par rame), soit à simple pont (60 automobiles ou 12 autocars et 24 automobiles). Les trains de camions se composent eux de vingt-huit wagons. Chaque wagon, d’une longueur de 20 mètres, peut supporter un poids lourd de 44 tonnes (poids total en charge maximal prévu sur le plan de la politique européenne des transports). Pour des raisons de sécurité, les poids lourds transportant des produits dangereux ne peuvent emprunter le tunnel.

Le matériel ferroviaire roule à 130 kilomètres par heure en vitesse de pointe, le temps de traversée étant d’environ trente-cinq minutes. L’utilisateur est accueilli sans réservation et embarque immédiatement en restant à bord de son véhicule, sauf pour les conducteurs des poids lourds qui sont accueillis à bord d’une voiture située en tête du train. En cas de trafic important, on prévoit un départ de navette toutes les quinze minutes. Dans l’avenir, cette cadence pourra encore être augmentée durant les périodes de pointe.

Les trains des compagnies nationales empruntant le tunnel sont, pour les voyageurs, des T.G.V., nommés Eurostar, qui assurent des liaisons Paris-Londres par une ligne nouvelle en France entre Paris et Calais (raccordée autour de la capitale avec les T.G.V. Sud-Est et Atlantique) et des liaisons Londres-Bruxelles prolongées ultérieurement vers Amsterdam et Francfort. Ainsi, par ce moyen de transport, Paris se trouve à trois heures de Londres. Il a été décidé par le gouvernement britannique, en février 1994, de construire pour l’an 2002 une ligne nouvelle entre Londres et Folkestone, diminuant le temps de parcours de près d’une demi-heure. En France, il est aussi envisagé de construire une ligne directe Paris-Amiens-Calais permettant de gagner encore plus de quinze minutes. Il est aussi prévu que le tunnel soit parcouru par des trains de nuit pour les longues distances et par des trains autos-couchettes. Les trains de marchandises, plus lents, passeront de préférence la nuit, durant les heures creuses, afin de ne pas perturber le trafic.

La mise en service de cette liaison a été très progressive, et le retard, de un an. Une augmentation de 60 p. 100 du coût par rapport aux prévisions est constatée. Rappelons seulement que le délai de six ans, initialement prévu pour la réalisation d’un ouvrage d’une telle dimension, était franchement optimiste quand on sait que la construction du Seikan, tunnel japonais de longueur analogue reliant les îles de Honsh et de Hokkaid 拏, a duré trente ans. Cette réalité est néanmoins à analyser: en fait, ce n’est pas le creusement des tunnels qui a posé les problèmes essentiels (puisque les délais et les coûts ont été plus ou moins respectés), mais le système de transport qui est d’une rare sophistication en raison, d’une part, des exigences de sécurité et, d’autre part, de l’importance des circulations envisagées. C’est en fait la disponibilité du matériel (navettes, locomotives, Eurostar) qui a provoqué les retards enregistrés et la plus grande part de l’augmentation des coûts, ce matériel étant en effet fort complexe. Par exemple, il y a trois fois plus d’informations à gérer par les ordinateurs de bord sur une navette que sur un T.G.V. classique, soit quelque trente-cinq mille points de saisie; la mise au point est donc particulièrement délicate. Parallèlement, le système de guidage des trains très performant (puisqu’il est prévu à terme un niveau de trafic analogue à celui de la ligne A du R.E.R. de Paris) et les dispositions de radiocommunications (essentielles pour le fonctionnement normal et pour les services de secours) ont également entraîné des difficultés pour obtenir une fiabilité satisfaisante. Cette période plus longue que prévu pour la finition et la réception de l’ensemble peut s’expliquer de la façon suivante: si le tunnel n’est équipé généralement que des dispositifs modernes déjà utilisés, il en réunit un grand nombre pour fonctionner correctement, et c’est la réunion de l’ensemble qui nécessite de longues mises au point.

La sécurité de l’ouvrage

Théoriquement, il peut y avoir jusqu’à vingt mille personnes à la fois dans les deux tunnels; aux heures de pointe, plus de dix mille passagers sont attendus. C’est pourquoi les pouvoirs publics et le concessionnaire ont accordé une attention toute particulière à la sécurité. Les accidents peuvent être causés soit par une action malveillante, individuelle ou collective, soit par un dysfonctionnement technique. Ces deux cas ont été envisagés.

On appelle sûreté la prévention des attentats et des agressions. Le risque d’explosions provoquées dans les trains existe comme partout ailleurs, mais peut-être de façon plus importante ici du fait de l’impact médiatique du tunnel. C’est pourquoi un contrôle d’accès aux installations a été prévu avec une rigueur similaire à celle qui existe pour le transport aérien. D’une part, l’accès des personnes dans le site est contrôlé grâce à un système physique (clôtures, caméras, etc.) et à un système complexe de badges qui permet d’identifier les personnes pénétrant dans le tunnel. D’autre part, les véhicules et les personnes transportées subissent un contrôle destiné à vérifier qu’aucun explosif ne pénètre dans le tunnel. Par exemple, un certain nombre de camions, avant de monter sur les navettes, passent dans un engin nommé Euroscan qui radiographie l’intérieur des véhicules avec une précision stupéfiante.

La sécurité est bien entendu un souci constant. Tous les dispositifs concernant la sécurité des personnes ont fait l’objet d’une analyse systématique. Comme dans tous les tunnels du monde, c’est le risque d’incendie qui constitue la menace la plus redoutable. Pour réduire les dangers correspondant à cette menace, des dispositions importantes ont été prises. Par exemple, les navettes transportant les voitures sont équipées de système de détection et de surveillance, complétés de dispositifs d’extinction particulièrement performants, avec notamment un déclencheur de gaz halon, très efficace. Bien que sa fabrication soit désormais, d’une façon générale, interdite en raison de son action destructrice de l’ozone stratosphérique, le halon est ici autorisé à titre exceptionnel, jusqu’à ce qu’un produit de substitution soit mis au point. Par ailleurs, au cas où le feu ne serait pas stoppé par tous ces dispositifs, il reste la possibilité d’évacuer les passagers vers le tunnel de service en les protégeant de l’incendie grâce à un système de ventilation adapté.

Parallèlement à cette analyse systématique des divers éléments de sécurité, il est apparu nécessaire aux autorités — et il s’agit d’une première en matière de transports terrestres — de demander à Eurotunnel de faire une étude globale de sécurité qui établisse une synthèse et s’assure de la cohérence et de l’efficacité du dispositif. Pour ce faire, deux démarches ont été suivies à partir d’une base commune qui a consisté en une analyse des risques conduisant à l’établissement d’une liste des dangers potentiels: déraillement, collision, incendie, pollution, inondation, asphyxie, explosion, tremblement de terre, freinage ou accélération brutale, électrocution, panne d’électricité, accidents personnels (par exemple en automobile).

La première démarche a consisté en une approche quantitative des dangers, afin d’apprécier le risque global en le comparant avec un objectif fixé à l’avance correspondant à la sécurité des chemins de fer classiques. Deux questions se posaient: quels dysfonctionnements peuvent survenir? quelles en sont les conséquences, les probabilités? Il a donc fallu établir l’enchaînement des circonstances (arbre d’événements) conduisant à une situation redoutée et évaluer les diverses possibilités pour les combiner. Cela a permis d’aboutir (avec un calcul de sensibilité indispensable dans un domaine où le “dire d’expert” est plus fréquent que la série statistique historique) à un résultat satisfaisant puisque, hors la malveillance (inappréciable en termes chiffrés), le système serait vingt fois plus sûr qu’un chemin de fer moderne ordinaire sur la même distance et avec le même nombre de passagers.

La seconde démarche a eu pour objectif principal de vérifier que les règles de fonctionnement du système (exploitation et maintenance) correspondaient bien aux besoins de la sécurité. Pour cela, on a recherché la liste des paramètres de sécurité définis de la façon suivante (norme du Bureau de normalisation de l’aéronautique et de l’espace): “Un paramètre de sécurité est une exigence issue d’une étude de sécurité, ce qui peut être par exemple l’efficacité d’une fonction, l’efficacité d’une barrière, la caractéristique d’un objet, la réalisation correcte d’une action humaine, etc. Les paramètres de sécurité constituent l’interface entre les analyses de sécurité et la qualité du produit, la qualité de son utilisation et de son environnement.” Ce sont ainsi les exigences de performance des divers composants à la base du fonctionnement du système. À partir de cette liste et de l’analyse de chaque paramètre, une classification a été établie afin de mettre en lumière les éléments les plus critiques et d’examiner les moyens prévus pour limiter les défaillances et les contrer. Ainsi, cinq cent cinquante-trois paramètres ont été étudiés. Cela a permis de vérifier la cohérence du règlement d’exploitation et de définir la politique de sécurité du système.

Données économiques et financières

Financement du projet

Le tunnel sous la Manche présente, sur le plan financier, deux caractéristiques essentielles: il s’agit d’un équipement public entièrement financé par le secteur privé, et son coût en fait le projet le plus important de l’histoire de l’humanité. En effet, la liaison transmanche correspond à un investissement de l’ordre de 66 milliards de francs, alors que les évaluations des autres très grands projets (canal de Suez, canal de Panamá, barrage d’Assouan) ne dépassent pas (avec toute l’imprécision liée aux modes de calcul et aux techniques utilisées dans le passé) 40 milliards de francs.

Pour cet ouvrage, il a non seulement fallu creuser trois tunnels de 50 kilomètres, mais surtout construire les terminaux, équiper l’ensemble (voies de chemin de fer, alimentation électrique, signalisation, ventilation, etc.) et disposer du matériel roulant (wagons et locomotives) pour transporter les véhicules des navettes.

À ces 66 milliards de francs, correspondant au coût “technique” (tabl. 2), il convient d’ajouter le coût du financement (intérêts), élevé car la construction a duré sept ans, et ce n’est que plusieurs années après la mise en service que les recettes dépasseront la somme des dépenses d’exploitation et de paiement des intérêts des emprunts.

Le financement a été assuré par le secteur privé. La société Eurotunnel disposait au 6 mai 1994, date de l’inauguration, d’un capital de 16,2 milliards de francs souscrit en quatre phases: un apport des fondateurs de 0,5 milliard de francs et des augmentations de capital sous forme d’actions en octobre 1986 (2 milliards de francs), novembre 1987 (7,7 milliards de francs) et octobre 1990 (6 milliards de francs). Une nouvelle augmentation de capital de près de 7 milliards de francs, en juin 1994, porta le capital d’Eurotunnel à 23 milliards de francs environ.

Le reste du financement est donc assuré par des prêts de l’ordre de 77 milliards de francs, qui ont été en grande partie souscrits par un syndicat bancaire. Toutefois, la B.E.I., pour 14 milliards de francs environ, et la C.E.C.A., pour 2 milliards de francs environ, ont participé à cet ensemble de prêts. Il est à noter que, sur le plan financier, l’économie française participe à un niveau plus élevé que celle de la Grande-Bretagne. En effet, le 1er juin 1994, quatre cent trente mille actionnaires étaient français et deux cent mille britanniques. De même, en ce qui concerne les prêts, les banques françaises ont plus participé que leurs homologues britanniques.

Impacts économiques

Les impacts économiques d’ordre régional dus à la création du tunnel sous la Manche sont de deux types: les impacts “immédiats”, liés à la construction de l’ouvrage, et les impacts à plus long terme, associés au fonctionnement.

La construction de grands projets de ce type a en effet des retombées immédiates sur l’emploi régional, le développement des infrastructures associées à l’ouvrage, les logements, les écoles et les équipements collectifs divers correspondant aux besoins des chantiers proprement dits. Il s’agit d’équipements dont la maîtrise d’ouvrage est publique. Côté français, trois programmes d’infrastructures de transport, pour un coût global de près de 20 milliards de francs en 1987, ont été élaborés: 6 milliards au titre des routes et autoroutes (avec notamment l’autoroute A26 Calais-Reims et la rocade Pas-de-Calais mise en service en 1991), 12 milliards pour les voies ferrées (T.G.V. Nord européen et modernisation des voies existantes dans la région Nord - Pas-de-Calais) et plus de 1 milliard pour les ports de la Manche (Dunkerque, Calais, Boulogne et Dieppe). Par ailleurs, l’État a pris sa part dans le mécanisme de valorisation du tunnel, en particulier par l’application de la procédure “grand chantier” qui consiste à mettre en œuvre trois niveaux d’intervention:

— l’hébergement et la bonne insertion personnelle et familiale des travailleurs opérant sur l’ouvrage, avec en corollaire l’amélioration des équipements collectifs environnants (santé, sport, éducation, culture, etc.);

— la détection et la formation professionnelle complémentaire des travailleurs locaux susceptibles d’être recrutés pour la réalisation de l’ouvrage;

— le développement local par implantation de projets connexes, liés ou favorisés par la mise en service de l’ouvrage.

Au niveau de l’emploi proprement dit, les effectifs sur le chantier du tunnel ont crû régulièrement pour atteindre un pic de cinq mille six cents personnes en juin 1991.

Durant les travaux de l’ouvrage, plus de 75 p. 100 des travailleurs étaient originaires d’une zone située à moins de 50 kilomètres du chantier. Il convient de noter que ce pourcentage, si l’on se réfère aux seuls effectifs d’Eurotunnel ou de ses sous-traitants directs, restera du même ordre lors de l’exploitation de l’ouvrage.

Au-delà de ces retombées immédiates, les projets d’investissements industriels ou commerciaux sont essentiellement privés et relèvent de deux grandes familles d’activités professionnelles: l’une liée au fret (transport de produits en l’état ou après transformation), l’autre aux voyageurs (services, accueil, loisirs, affaires).

À l’heure où l’Europe se construit, le tunnel sous la Manche, vieux serpent de mer, souvent envisagé et toujours repoussé, a été inauguré en mai 1994, et atteindra peu à peu son plein régime. Comme tout projet grandiose, cette liaison ne s’est pas faite sans rencontrer certaines difficultés. Dorénavant, il suffit de vingt et une minutes à bord d’un Eurostar, en restant dans son automobile, pour traverser, dans les meilleures conditions de confort et de sécurité, ce bras de mer de 33 kilomètres dans sa largeur minimale, qui jadis était un barrage, parfois infranchissable, entre le continent et les îles Britanniques. De grands espoirs de développement sont fondés sur cette liaison, et en particulier pour une région française durement touchée par la crise économique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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